Les Eglises doivent-elles prendre position dans un conflit?

Les Eglises doivent-elles prendre position dans un conflit ?

La question est posée dans un article très intéressant du Temps du 12 février (p. 7) intitulé « La guerre, et le silence des Eglises réformées ». La problématique est vieille comme le christianisme ou plus exactement comme le Christ  et on ne cesse d’y réfléchir en tant que chrétien.

Quand l’Eglise « se contente » de prier pour la paix, on lui reproche sa pusillanimité, quand elle prend parti, on lui reproche son agressivité ou sa partialité. J’avoue que la question me taraude depuis fort longtemps et que j’ai de la peine à nouer la gerbe d’une série de réflexions.

  • L’Eglise est une institution humaine par conséquent imparfaite, ce qui doit en soi l’inciter à un peu de modestie. Elle a néanmoins pour mission de chercher à vivre et à répandre l’enseignement du Christ tel que compris et transmis oralement par les témoins de son époque puis transcrit dans les textes du second testament. Cet enseignement est celui d’un Christ  s’adressant aux gens de son époque donc marqué au coin d’une civilisation temporelle, mais transmettant des valeurs intemporelles. L’Eglise – donc les chrétiens – est responsable de rechercher sans cesse ces valeurs intemporelles afin de les vivre et de les transmettre – en décortiquant la gangue temporelle. Il s’agit en effet d’essayer d’éviter de faire ce contre quoi la Bible comporte plusieurs mises en garde, aussi bien dans le premier que dans le second testament : « attention à ne pas prendre les règles humaines pour des prescriptions divines » (voir Es. 29.13 ; Mat. 15. 3-9 ; Marc 7. 1-13).
  • Parmi beaucoup d’autres, un texte me paraît une bonne illustration de cette recherche et de ses conséquences éventuelles, c’est le fameux passage de la « femme adultère » (Jean 8.1-11). Le Christ n’y déclare pas que l’adultère n’est pas une violation du 7e commandement, il ne dit à aucun moment que la lapidation est une punition humaine illégale, il ne la déclare pas disproportionnée ou scandaleusement cruelle. Et pourtant il y soustrait la femme adultère. Il se place à un tout autre point de vue : parce qu’Il est Dieu et agit au nom de Dieu, il fait reconnaître par les juges eux-mêmes leur propre imperfection et constater que Dieu, quant à lui, dans sa perfection, ne condamne aucun de ceux qui violent sa loi. Il leur pardonne pour les inciter à ne plus recommencer.
  • Et c’est là que nous touchons à la réponse à la question du titre : si l’Eglise prend position, elle déclare alors qui sont les bons, qui sont les méchants, selon le jugement des hommes, elle proclame qui punit justement ou/et qui dépasse les limites ; elle attise ainsi les hargnes,  l’esprit de vengeance et peut-être l’orgueil du justicier.
  • Si elle se prononce en tant qu’Eglise, elle doit oser s’abstenir de cataloguer les bons et les méchants, les justes et les autres, rappeler que tous les peuples sont pécheurs, bons et méchants, que toutes les races sont bonnes et méchantes, que tous les humains sont bons et méchants devant Dieu et que ce n’est que Lui qui peut donner la sagesse de la paix et la force du pardon. Elle demandera pardon en tant qu’Eglise, c’est-à-dire en tant que communauté de chrétiens, pour chacune des Parties au conflit, sans qualifier l’une d’attaquant et l’autre d’attaqué. Elle demandera un esprit de discernement, en tant qu’Eglise, pour chacune des Parties au conflit ; mais à aucun moment, comme Eglise, elle ne classifiera les protagonistes pour les condamner ou les absoudre. Si elle le fait, elle cesse alors  d’être Eglise, elle cède à la tentation de la justice humaine et se réduit à une communauté du monde.

10 réponses à “Les Eglises doivent-elles prendre position dans un conflit?”

  1. Mais, Madame Sandoz, vous avez tout compris. On ne peut répondre plus justement à votre interrogation ! Par ailleurs, vos réflexion, analyse et réponse ne peuvent se limiter aux Eglises Réformées. Elles s’appliquent à toutes les églises en temps qu’institutions humaines appelées à enseigner le divin.

    1. Il est évident que l’Eglise comprend tous les chrétiens, c’est l’article qui ne s’adressait qu’à l’église réformée. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté du terme d’église qui désigne à la fois les organisations administratives humaines et l’ensemble des chrétiens.

      1. Mais il n’y as pas que les Chrétiens. Les Hindous, les Bouddhistes, les Juifs, les Musulmans et autres croyants ont également leurs églises, soit leurs institutions humaines chargées d’enseigner le divin !

        1. Mais l’article du Temps ne concernait que l’Eglise réformée. Je me suis permis d’étendre la réflexion aux Eglises chrétiennes en général, considérant que l’église réformée en fait partie!
          Je n’ai pas la prétention de connaître la religion des Eglises non chrétiennes.
          C’est d’ailleurs passionnant de constater les malentendus et les quiproquos auxquels donne lieu le terme d’Eglise.

  2. Vous dites « L’Église – donc les chrétiens… » Or il me semble qu’il y a une grande différence entre l’Église, détentrice d’une doctrine religieuse, et les chrétiens, détenteurs d’une spiritualité individuelle. Une exemple emblématique me vient à l’esprit.
    L’attentat de Zoug avait fait 15 morts : 14 membres des autorités ainsi que l’auteur des faits. Pour la cérémonie religieuse, l’Église prévoyait d’allumer 15 bougies : « Ce n’est pas à nous de dire à Dieu à qui il donnera sa lumière, sa miséricorde et son pardon. » À peine ébruitée, cette perspective provoqua un scandale dans la population. Plusieurs citoyens prirent contact avec les autorités religieuses pour qu’il n’y ait pas de 15ème bougie. Certains parlaient même de provoquer une émeute pendant la cérémonie. Et il n’y eut pas de 15ème bougie!
    Cette dissension entre doctrine théologique et spiritualité des croyants n’est pas propre au christianisme. Un Juif pratiquant se déclara effondré lorsqu’il apprit que des fouilles archéologiques prouvaient, sans doute possible, qu’un passage de la Thora ne pouvait pas avoir correspondu à une réalité historique : pour lui, tout s’effondrait. La Thora lui avait menti ! Mais pour le rabbin, pas de problème : l’archéologie, c’est l’archéologie ; la théologie, c’est la théologie. Et tant que chacune s’occupe de ses petites affaires, tout va bien.

    1. Merci de ce rappel de faits tragiques. Si l’Eglise avait été fidèle à ce qu’elle prêche, elle aurait allumé les 15 bougies. Les responsables ont eu peur d’un danger pour leurs propres fidèles et ils n’ont donc pas rempli leur mission. On peut très bien les comprendre et c’est une illustration de la difficulté d’être fidèle à un engagement. On peut risquer librement sa vie par fidélité, on ne peut pas engager celle des autres. On doit essayer au moins de le dire et de le faire comprendre.

  3. La lapidation ? Ni pour ni contre, bien au contraire, répondraient peut-être ici les Vaudoises et Vaudois d’aujourd’hui ? Et comme nous sommes tous « enclins au mal, incapables par nous-même de faire le bien » comme le répétaient chaque dimanche nos anciennes liturgies, nous sommes ainsi condamnés au silence avant de condamner. C’est la triste réalité pour le croyant, mais pas celles des communautés ecclésiastiques, à mon avis.
    Il faudrait ici relire les propos de Paul Ricoeur: « ….Faire le mal, c’est faire souffrir autrui. La violence ne cesse de refaire l’unité entre mal moral et souffrance. Dès lors, toute action, éthique ou politique qui diminue la quantité de violence exercée par les hommes les uns contre les autres, diminue le taux de souffrance dans le monde. »
    (Le mal, un défi à la philosophie et à la théologie. Ed. Labor et Fides, 1996, p.39)

  4. Bien dit, l’église ne doit donc pas prendre position dans un conflit!
    Mais que dire de la position qu’elle doit prendre dans les dérives sociétales du libéralisme à outrance qui conduit au satanisme qui lui, conduit au cannibalisme.
    L’église ne devrait elle pas au minimum se manifester.

    1. Ne pas prendre position ne signifie pas ne pas se manifester. L’Eglise doit sans cesse se manifester en remplissant sa mission de transmetteuse de la Parole et c’est l’immense responsabilité des chrétiens que de s’efforcer de vivre en harmonie avec ce qu’ils prêchent.

  5. L’église ce sont chaque chrétien. L’église doit prendre position sur les sujets éthiques : Il y a bientôt de don d’ovocytes pour tous que Madame Baum Schneider veut pour la Suisse. Toujours avec les risques pour les femmes embryons surnuméraires mais surtout le désarroi des futurs enfants ! Pour le bien de notre société et non un désir égoïste
    J ‘espère que les églises les autres religions vont se prononcer ! Pour le bien de la société future (qui est déjà si compliquée !)

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