Le phénomène suisse des langues
Excitation maximale dans le landerneau helvétique : le canton de Zurich n’enseignera le français qu’à partir de l’école secondaire. On crie à la trahison de « l’entente confédérale ». Mais de quoi s’agit-il ?
Selon l’art. 4 de la Constitution fédérale, « Les langues nationales sont l’allemand, le français, l’italien et le romanche. » Dans quels cantons enseigne-t-on obligatoirement le romanche par esprit « confédéral » ? Dans quels cantons l’italien est-il obligatoire par esprit « confédéral » ?
Certes ! Le français est, en importance, la 2e langue nationale. C’est bien « la langue » parlée par les autochtones, leur langue de cœur, mais l’allemand, lui, n’est pas la langue parlée par les autochtones en Suisse allemande, ce n’est pas leur langue de cœur ; quand les petits Suisses allemands entrent à l’école, ils découvrent l’allemand. C’est presque une langue étrangère qu’ils doivent apprendre alors qu’ils parlent le suisse-allemand. Certes, les deux idiomes germaniques ont des similitudes, mais l’allemand est une langue écrite, construite, comme le français et l’italien. En plus de la langue qu’ils parlent, les petits élèves suisses-allemands doivent donc apprendre à « construire » une autre langue, l’allemand. Les petits Romands, eux, parlent naturellement la langue dont ils peuvent commencer à apprendre la construction dès qu’ils entrent à l’école.
Le français, l’allemand, l’italien, sont des langues internationales qui donnent accès à une culture plus vaste que la culture suisse. Elles impliquent une autre approche que celle requise par les langues exclusivement locales telles que le Suisse-allemand – et même d’ailleurs que le romanche. L’oreille ne suffit pas et je dirais que l’apprentissage par l’oreille seulement est un risque de trahison de la culture. Il est bon que les élèves aient déjà une certaine maturité pour « entrer » dans une langue de culture internationale et en acquérir non seulement la technique, mais aussi l’esprit. La meilleure coexistence confédérale est assurée par la compréhension et de la langue et de l’esprit de l’autre ethnie. Le problème, c’est que le suisse-allemand n’est pas une langue internationale et qu’il donne l’accès à des cultures très localisées, importantes certes mais très diverses. Seul le séjour dans un canton d’outre-Sarine permet de percevoir la richesse d’une culture locale.
Or ni le français ni l’allemand ni l’italien comme tel ne transmet l’âme du canton dont c’est la langue officielle. Il faut aussi avoir vécu sur place. Laissons donc à chaque canton la liberté de décider à quel âge ses enfants sont le plus aptes à acquérir les connaissances permettant de s’approprier une ou deux des langues « officielles » du Pays et gardons-nous de voir autre chose dans cette décision qu’une recherche pédagogique et légitimement fédéraliste.
Le cas spécial de l’anglais
L’anglais a été une langue de culture. Il est devenu un instrument commercial et un moyen d’uniformisation des esprits. Par pur sens « pratique » et « économique », l’enseignement de l’anglais tend à être préféré à celui des langues nationales. Il faut pouvoir le baragouiner dès son plus jeune âge. Il présente des analogies avec l’allemand comme avec le français et paraît assez facile à acquérir aussi bien pour les germanophones que pour les francophones. La paresse naturelle incite à préférer l’immédiatement utile au culturel, plus « désintéressé ». C’est là un problème de civilisation qui dépasse largement le cadre des relations intercantonales. La question qui se pose est la suivante : l’école doit-elle favoriser la soumission à une mode consumériste ou l’ouverture à la culture ?
Le débat sur l’harmonisation scolaire ne semble pas souvent porter sur cette question.
Madame,
En effet, c’est une sorte de loi de la facilité et à la mode consumériste qui favorise aujourd’hui l’anglais au niveau de l’école primaire déjà… J’ai vécu trois années formatrices à Lucerne (1962-1965). En apprenant ainsi le dialecte local, j’ai mieux compris les origines de cette richesse culturelle fondatrice de la Suisse.
Merci pour cette réflexion fondamentale.
La décision du canton de Zürich de ne pas enseigner le Français avant l’école secondaire pose question. Vos arguments sont certes très solides mais on pourrait aussi dire que l’exaspération de certains romands est justifiée parce que nous voudrions que les langues nationales en Suisse soient le plus possible maîtrisées pour éviter que l’anglais soit à ce point dominant. C’est aussi valable pour l’italien. M. Décaillet, dans un de ses billets dit ceci en résumé : » la place occupée en Suisse, notamment à Genève par l’anglais est hallucinante et elle est le produit d’un système hégémonique mondial « . Je pense qu’il a mille fois raison. J’ajouterai que ce qui est navrant et injuste, c’est le fait que les anglophones ne doivent jamais se fatiguer lors de négociations politiques ou commerciales. C’est tellement simple de s’exprimer dans sa langue maternelle. On ne risque pas de commettre de gros impairs pendant que les autres s’épuisent et risquent le fiasco. Le cas de M. Zelensky est révélateur lorsqu’il s’est fait ridiculiser par M. Trump dans le bureau ovale. Il s’était donné la peine de converser en anglais et cela a été une grossière erreur. S’il avait requis l’expertise d’un traducteur, cela lui aurait permis d’avoir le recul nécessaire.
Ce Monsieur Zelensky même a interdit la langue Russe en Ukraine ! Une façon de déclencher les hostilités. Heureusement en Suisse il y a plus de tolérance …
Merci pour ce rappel..Les va-t- en guerre contre Poutine l ‘ avaient oublié….
@SYLVIE RG
Le fait que M. Zelensky ait interdit la langue russe en Ukraine est très choquant et vous avez raison de le souligner. Si j’ai pris cet exemple, c’est qu’il illustre parfaitement mon propos. En effet, même si on maîtrise bien une langue étrangère, dans le cas précis, l’anglais, on ne s’exprimera jamais aussi bien que dans sa langue maternelle.
Magistral ! La langue, l’expression de sa propre nature, de son être, de sa culture. L’homme étant fondamentalement divers, ses langues parlées le sont également. Les frontières des domaines linguistiques n’ont rien à voir avec les frontières politiques régionales ou nationales. Les dialectes ou idiomes locaux sont présents partout dans tous les pays. La langue parlée dès sa naissance, non celle(s) apprise(s) a l’école. La richesse des terroirs, des cultures, absolument à protéger.
2 petits commentaires viennent à l’ésprit, en tant que anglophone de base, donc (hélas?) toujours avec l’accent–difficile à me débarraser (même si je voulais vraiment, mais j’ai d’autres priortés).
1- Anglophone de base, je suis très consciente des avantages de parler une « lingua franca intl » dans une vie qui demandait les déplacements entre regions linguistiques, et assez régulièrement depuis ma naissance..
2- Apprendre les langues étrangeres depuis la première année d’école est très recommendé par tous ce qui ont pû profiter des pédagogies comme la anthroposophie,qui est répandu en Suisse, car acquérir les langues de façon « naturelle » avant d’écrire porte des grands avantages, tout comme la multilingualism famliale.
La « paresse naturelle » va surtout amener tout un chacun à installer sur son téléphone une application de traduction instantanée, comme il en existe déjà. Avec l’avantage de pouvoir bavarder tout aussi bien avec des locuteurs de plusieurs centaines de langues. J’ai l’impression que nos controverses helvétiques actuelles ressembleront bientôt aux disputes médiévales.
Excellente analyse, je vous en remercie Madame Sandoz.
Dans les années 1960 dans le canton de Vaud, hors collège, nous apprenions une deuxième langue nationale, l’allemand, que pendant les trois dernières années de l’école obligatoire, et cela dans les classes de primaires supérieures seulement.
En apprentissage dans le canton de Berne, on me parlait en bärndütsch ou, plus rarement, en français, l’allemand n’étant utilisé que pour l’écrit.
Aujourd’hui, l’anglais ne devrait être enseigné qu’après l’apprentissage d’une seconde langue nationale.