Une votation piégée, une tromperie gigantesque

 

Le petit livre rouge fédéral qui invite les citoyens à voter vient de nous parvenir. J’en découvre une partie du contenu avec horreur. Et je pèse mes mots ! La tromperie en ce qui concerne le premier sujet (l’impôt immobilier) est gigantesque.

Comme on l’entend depuis le début de la campagne, on ne parle que de la suppression dans une loi  fédérale de l’impôt fédéral sur les loyers fictifs des propriétaires de leur logement. Or, sur quoi votons-nous ? Sur un article constitutionnel  (ce n’est pas une loi  au sens technique!) introduisant la possibilité, pour les cantons, de percevoir un impôt sur la valeur locative fictive des logements secondaires  à usage personnel (camouflé sous l’appellation générale d’impôt immobilier). Autrement dit, on vote sur la fixation dans la constitution fédérale, au sujet des cantons, d’un impôt semblable à celui qu’on prétend supprimer dans une loi fédérale que personne ne connaît. Où trouvez-vous  dans le texte constitutionnel soumis au vote la moindre allusion à la suppression d’un impôt ?

 

Pour essayer de comprendre, je me suis plongée dans le petit livre rouge. Mon premier constat c’est qu’il n’existe pas, à ce jour, de loi fédérale abolissant l’impôt locatif fictif. Accepté par chacune des deux Chambres (p. 7 du livre rouge), le projet de loi  (sic) n’a pas encore été publié dans la Feuille Fédérale, il n’est pas encore « officialisé » et n’est donc pas encore soumis au referendum. La loi pourrait ainsi parfaitement être refusée en vote populaire si référendum il y a après publication. A ce propos d’ailleurs, le petit livre rouge contient un demi-mensonge. En effet, à la p. 10, en haut, il est écrit : « En vertu de la loi fédérale relative au changement de système d’imposition de la propriété du logement, la valeur locative ne sera plus imposable ». Une note en bas de page renvoie à la Feuille Fédérale, mais pas du tout à un texte de loi. Le renvoi concerne l’arrêté constitutionnel sur lequel nous votons et l’avis du Conseil fédéral. Le texte de loi n’est pas publié. C’est absolument scandaleux. On peut nous raconter n’importe quoi.

Et ce n’importe quoi se retrouve aux pages 4 et 8 du petit livre rouge où il est écrit ,à propos du texte soumis à notre suffrage: « L’abolition de l’imposition de la valeur locative est liée juridiquement à la modification de la constitution ».

En fait, il s’agit de dire clairement que ce lien est strictement politique et nullement juridique, puisqu’il n’existe à ce jour aucun texte légal en vigueur consacrant ce lien. Le petit livre rouge le dit clairement en p. 18, où il est écrit : « Le Conseil fédéral et le Parlement approuvent le projet de loi et de modification constitutionnelle » et poursuit, à la même page: « La votation décidera donc de l’ensemble : si l’impôt immobilier spécial est rejeté, l’imposition de la valeur locative sera maintenue », cela signifie-t-il que les Chambres annuleront leur vote final d’un projet de loi abolissant cet impôt et accepté dans chacune d’elles ? Cela mériterait un éclaircissement, mais comme aucun texte légal n’est cité ni peut-être n’existe, on nage dans les nuages !

Notons qu’en p. 8 toujours et pour mieux brouiller les cartes, il est encore précisé : « Les deux objets ne peuvent donc pas entrer en vigueur l’un sans l’autre. L’imposition sur la valeur locative ne sera abolie que si le peuple et les cantons acceptent l’impôt spécial sur les résidences secondaires ». C’est très clair, mais selon l’article 195 de la Constitution fédérale, « La Constitution révisée totalement ou partiellement entre en vigueur dès que le peuple et les cantons l’ont acceptée ». Or il faut une disposition transitoire précise pour déroger à la Constitution. La simple indication dans le petit livre rouge (p. 20) que « Le Conseil fédéral fixe la date de l’entrée en vigueur » est inadmissible, car cela signifie nettement autre chose que le lien garanti entre l’entrée en vigueur de la loi et celle de l’article constitutionnel. C’est une honte !

J’ai toujours été opposée à l’impôt locatif fictif et ai fait campagne contre son introduction, en son temps, au sein du Parti libéral ; je ne peux évidemment que voter NON à son introduction déguisée dans la Constitution fédérale, même sous un angle réduit, et ne saurais croire un mot des promesses contenues dans le très malhonnête charabia officiel.

 

 

 

 

9 thoughts to “Une votation piégée, une tromperie gigantesque”

  1. En effet, la complexité du sujet faussement présenté aux personnes qui ont le droit de vote est une véritable honte.
    J’ai 87 ans et n’ai encore jamais lu quelque chose de si embrouillé !
    Je vote NON, car je ne suis pas contre un éventuel impôt immobilier cantonal sur les résidences secondaires tel que rédigé (CH1), mais contre l’impôt sur le revenu locatif des propriétaires. Par exemple, pour mon cas, la valeur locative annuelle déterminante de ma maison est de CHF 21’605.69 , un « revenu fictif » qui s’ajoute ainsi à mon revenu de retraité (AVS et CPE) , soit env. CHF 1800.00 par mois en plus !

    1. Merci Madame d ‘ aborder ce sujet.
      J’ ai toujours été choquée que l on puisse devoir payer un impôt sur une location qui n existe pas…je trouvais cela injuste.
      Aujour d hui où il question de supprimer cet impôt, je me suis tout d abord réjouie…mais quand je lis la complexité de ce qui attend les proprietaires en compensation de ce manque à gagner pour le fisc…je suis complètement  » à l ‘ ouest » Je n y comprends strictement rien..
      Vos propos mettent au jour cet  » embrouilli « ..qui piège les propriétaires..

    1. Que le OUI ou le NON l’emporte, cela n’aura pas d’effet direct sur l’impôt locatif. Celui-ci ne sera supprimé que par la loi dont le Parlement a voté le projet mais dont nous ne connaissons pas le texte; si le OUI l’emporte, alors la loi sera publiée et elle pourra être soumise au referendum. Si un referendum est demandé et aboutit, le vote pourrait conclure à un refus. L’impôt locatif ne serait alors pas supprimé.
      Selon ce que l’on nous dit – mais on ne nous en donne aucune preuve – si, le 28 septembre, le NON l’emporte, le Parlement renoncerait à la loi qu’il a votée et l’impôt locatif ne serait pas supprimé.
      La seule chose absolument claire, c’est que le vote du 28 septembre n’entraînera pas automatiquement une disparition de l’impôt locatif.

  2. Il me semble que notre belle démocratie directe est en train de déraper à plusieurs niveaux. S’agissant des procédures, celle que vous décortiquez ici est particulièrement tordue. Mais il y a aussi la mode des contre-projets indirects, censés entrer automatiquement en vigueur si l’initiative est rejetée. Par exemple : l’initiative sur les multinationales responsables (rejetée). Aurait-il été possible d’attaquer le contre-projet indirect en référendum ? Mystère.
    Auparavant, il y a eu l’initiative contre l’immigration de masse : acceptée et débouchant sur une loi d’application qui n’applique rien du tout. On croyait que la fin de l’interdiction du « double-oui » mettait un terme à un procédé sournois visant à couler les initiatives populaires ; visiblement, la relève est assurée.
    Mentionnons encore le coup du « paquet », où il fallait dire oui ou non à une loi portant sur deux choses à la fois, au prétexte que l’unité de la matière n’est prescrite que pour les initiatives, mais pas pour les lois soumises au référendum facultatif.
    Une autre dérive indépendante des procédures concerne l’évaluation des conséquences. Réforme de la LPP : personne ne pouvait dire qui gagnait, qui perdait, et combien : les femmes, les jeunes, les retraités actuels ou futurs, les bas ou les haut revenus, les « temps partiels ».
    Suppression de l’impôt sur la valeur locative : locataires, propriétaires jeunes ou vieux, faiblement ou fortement endettés… les opinions pour et contre s’étalent sur tout l’échiquier politique. Parions que le même cafouillage nous attend pour l’imposition individuelle. À quoi bon voter s’il est impossible d’en évaluer les effets ?
    Et toujours sur les conséquences : les informations fausses qui ont conduit le TF, pour la première fois dans l’Histoire de la Suisse moderne, à invalider un vote, non pour des raisons techniques (décompte erroné, falsification de bulletins…) mais parce que le peuple a été trompé par les autorités.
    Sans parler du crédit pour les avions militaires : six milliards, pas un centime de plus, croix de bois croix de fer.
    C’est grave !

  3. En soi, il faudrait voter oui parce que cela prétend donner une base à la suppression promise de l’imposition d’un revenu virtuel. Encore faudra-t-il que la promesse soit tenue.
    Mais il faut voter non parce que telle virtualité devrait être maintenue pour les résidences secondaires et que cela ne serait possible que parce que la constitution autoriserait les cantons à le faire.
    Question de non juriste: est-ce la compétence de Berne de prescrire les types d’impôts que cantons et communes peuvent, ou non, percevoir?
    Dans le doute, et aussi à cause de la confusion que cela crée et de l’insignifiance de l’objet politique, il vaut mieux s’abstenir et donc dire non à la révision de la constitution.

  4. Professeure merci ! Le gouvernement helvétique veut nous rouler dans la farine. Et chaque jour les moqueries sont un peu plus carabinées.
    Alors « Nom de non, c’est non » …… eab

  5. Merci Suzette,

    Perplexe face à ce charabia, j’ai interrogé mon entourage. Faut-il oui non abolir la taxe fictive d’une valeur locative en échange de, par exemple, l’impossibilité de déduire des frais de rénovation et un éventuel impôt cantonal? Sur les pseudo déductions, tout le monde rigole…. (encore faudrait-il qu’elles soient considérées est la réponse la plus courante (bon je n’ai consulté que 12 personnes). Quant à savoir ce qu’il faudrait voter… tout le monde s’accorde pour dire que c’est une fédérale embrouille mais personne ne sait trop comment réagir. Notre peuple souverain ne devrait-il pas majoritairement voter blanc un objet aussi mal présenté? Berne devrait peut-être consulter l’IA?

  6. Une votation où personne n’y comprend rien, c’est fort! Dès lors une seule réponse possible : non! Tout cela démontre, me semble-t-il, un Conseil fédéral pieds et poings liés par l’administration, soit la caste des fonctionnaires, souvent politisés donc intéressés. Ce sont eux qui ont rédigé le livret rouge, ce sont eux qui soufflent au conseiller quoi décider ou dire. Bref, ce sont eux qui dirigent. Les conseillers fédéraux devraient s’en méfier, voire les remplacer régulièrement par d’autres! La même plaie touche-t-elle aussi, possiblement, le Parlement, en ce qu’il a également des liens avec l’Administration?

Répondre à Brissot Nina Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *