La grande amnésie du fisc vaudois

Les députés vaudois viennent de recevoir le Rapport du conseil d’Etat sur une « motion… demandant l’institution d’une commission d’enquête parlementaire » (CEP) « pour faire la lumière sur les dysfonctionnements liés à l’application du bouclier fiscal et à la conduite du département des finances ».

Commentaire :  Précisons qu’il s’agit des années antérieures à la législature actuelle.

Le Conseil d’Etat conclut à l’inutilité d’une telle commission d’enquête pour les motifs suivants :

  • (p.21 du rapport du Conseil d’Etat) L’événement n’est pas d’une grande portée. « L’application du bouclier fiscal a des effets limités » (peu de contribuables concernés – « entre 1000 et 4000 , soit entre 0,2 et 0,8 % de l’ensemble des 500’000 contribuables vaudois »), effets financiers globaux peu importants « indépendamment du système utilisé (entre CHF 40 et 80 millions par an au maximum…soit environ 1% des recettes de l’impôt cantonal et communal sur le revenu et la fortune ; … il faut rappeler que les contribuables au bénéfice du bouclier ont versé entre 3 et 5% du total de l’impôt sur la fortune de l’Etat et des communes ». En outre, on ne peut pas établir les conséquences réelles de l’application du régime légal plutôt que de celui erroné.

Commentaire  (c’est moi qui ai mis en gras): en deux mots, la perte n’est que de quelques  dizaines de millions ! Et on ne va pas se compliquer la vie alors que les contribuables concernés paient de toute manière beaucoup d’impôts.

  • (Rapport, p. 21) « Les personnes interrogées par l’expert ont toutes confirmé que durant ces années, le bouclier fiscal n’était pas un thème politique.»

Commentaire : donc sujet sans importance !

  • (p.22) « La CEP n’a pas pour vocation de mener des recherches historiques, ni de « « refaire l’histoire » » pour utiliser une expression consacrée. »

Commentaire : c’est bien connu, les enquêtes ne concernent jamais le passé !

  • (Même page) « Les motionnaires fustigent une pratique administrative qui a été indirectement jugée contraire au droit » (commentaire: par un jugement du Tribunal fédéral !). « Or il arrive fréquemment que les tribunaux admettent des recours contre des décisions qu’ils jugent précisément contraires au droit et remettent ainsi en cause des pratiques établies parfois depuis plusieurs années … » (deux exemples sont donnés concernant des jugements du Tribunal cantonal condamnant des conditions de détention dans certains établissements carcéraux) sans que cela ait « amené le Grand conseil à constituer une CEP lorsqu’il en a été requis en 2017 ».

Commentaire : laissez braire les Tribunaux !

  • (Même page) Depuis 2022, le bouclier fiscal est appliqué de manière conforme au droit et, en outre, en juin 2024, le Conseil d’Etat a « décidé de proposer au Grand Conseil d’en revenir à la pratique antérieure à 2022…. Et a agi en toute transparence dans ce dossier » (c’est moi qui ai souligné).

Commentaire : Circulez, il n’y a plus rien à voir.

  • (p.23) « Le Conseil d’Etat entend en outre prendre des mesures complémentaires afin d’améliorer le fonctionnement de la Direction générale des finances dont le rôle est essentiel pour l’Etat » (suit une liste de mesures).

Commentaire : on a pris toutes les mesures pour le futur.

  • (p.23, Conclusion) : la motion demandant une commission d’enquête peut être classée !

 

A l’appui du refus d’une enquête parlementaire, le Conseil d’Etat produit le rapport demandé par lui à M. François Paychère, dr en droit, dans le but de « rassembler les éléments de fait pertinents afin de déterminer les écarts possibles entre les normes du droit fiscal cantonal et leur application ».

D’entrée de cause, ledit rapport signale une particularité (p. 4, ch. III) : « Le mandataire ne disposant d’aucun pouvoir coercitif, la bonne exécution du mandat dépendait notamment de la bonne collaboration des autorités et des personnes qu’il a entendues. Sa mission a été rendue plus difficile par la décision, prise par le Conseil d’Etat …. sans en conférer avec le mandataire, de communiquer aux personnes avec lesquelles il comptait s’entretenir la liste des questions auxquelles il lui appartenait de répondre (c’est moi qui ai souligné). Certains interlocuteurs avaient ainsi préparé des réponses à des questions qui ne correspondaient pas à leurs fonctions ou tenaient à s’exprimer sur des points sans pertinence en ce qui les concernait ».

Commentaire : Chacun appréciera à sa juste valeur cette manière du Conseil d’Etat de prendre, dans le dos du mandataire, des contacts avec les personnes que ce dernier devait interroger !

Mais ce qu’il y a de plus frappant, c’est l’amnésie des personnes concernées par « l’affaire du bouclier fiscal ». Ainsi :

  • (p.29 du rapport) Mme Gorrite ne se souvient pas que, sous sa présidence (2017 à 2022), le Conseil d’Etat ait pris une initiative dans le domaine du bouclier fiscal.
  • (p. 30 du rapport) « Les dérives constatées du modèle de calcul du bouclier ont été identifiées dès 2011… et à nouveau signalées à la hiérarchie du département chargé des finances en 2015. Le seul tempérament qui a été apporté était de donner raison aux contribuables qui déposaient une réclamation ».

Commentaire : on admet la réclamation des mécontents et on n’en parle plus !

L’expert (M. Paychère) a rédigé un rapport complémentaire reprenant certaines questions :

  • (p.5) « M. Broulis, alors conseiller d’Etat et Président du Conseil d’Etat, a répondu par écrit qu’il n’avait « jamais eu d’information sur des problèmes en lien avec le bouclier ».
  • (p.6) A propos d’une note du 27 février 2015 reprenant l’ensemble de tous les défauts déjà mentionnés) : « la directrice générale de la Direction générale des finances … a exposé qu’elle avait dû prendre connaissance de cette note mais ne se souvenait pas de sa teneur ni de la teneur d’une discussion subséquente avec M. Broulis.
  • (p. 7) A propos de la jurisprudence du Tribunal : en 2019, le Conseil d’Etat a-t-il été informé de cette problématique ? « M. Broulis, alors conseiller d’Etat, a déclaré avoir eu connaissance de la jurisprudence du Tribunal fédéral en 2019 … Probablement au second semestre». Le directeur de la division de la taxation, lui-même (et l’ancien responsable de la législation)… a nanti Monsieur Broulis, alors conseiller d’Etat, de cette problématique…  « Il ignore toutefois si et quand l’ensemble du Conseil d’Etat a été informé. »
  • (p.8) « Les sources extérieures au Conseil d’Etat ne permettent pas d’établir si ce Conseil a été informé in corpore en 2019 – ou auparavant – quant aux questions que soulevait le bouclier. …Le Conseil d’Etat est mieux à même de se déterminer sur cette question, dès lors qu’il doit avoir un accès direct à ses propres archives, contrairement à l’expert nommé par ledit Conseil ».

Commentaire : (c’est moi qui ai souligné les différents passages) : en déclarant une commission d’enquête inutile,  de qui le Conseil d’Etat se moque-t-il ?

 

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