La diplomatie étranglée

 

Mercredi 2 juillet 2025, le journal le Temps publiait, en p. 5, une photographie de notre Présidente de la Confédération, Mme Karin Keller-Sutter, au côté de M. Macron, à l’Elysée, avec le grand titre « Regarder ensemble dans la même direction » et un texte mis en valeur en rouge, disant : « Emmanuel Macron s’est dit très en faveur d’une plateforme de négociation entre l’Ukraine et la Russie à Genève ».

Ils oubliaient probablement l’un et l’autre un fait d’une certaine importance : Le 17 mars 2023, la CPI (Cour pénale internationale) a délivré un mandat d’arrêt contre le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, pour crime de guerre de déportation illégale de population et de transport illégal de population, crimes ayant été commis à l’encontre d’enfants ukrainiens ».

La CPI a été créée par le traité dit du Statut de Rome.

Sur son site, notre DFAE rappelle qu’ « En ratifiant le Statut de Rome, un Etat partie s’engage à coopérer avec la Cour pénale et à reconnaître ses jugements »,  et qu’ « aucune immunité, pas même celle de chef d’Etat et de gouvernement ne peut constituer un obstacle aux poursuites pénales ».

 

La Suisse a ratifié le Statut de Rome. Elle doit donc arrêter M. Poutine dès qu’il met le pied sur son territoire, ce qui pourrait  le faire hésiter à venir, si confortables que soient nos hôtels et délicieuses nos fondues et raclettes arrosées d’un gouleyant vin blanc !

 

Cette situation gênante est la même pour tous les Etats européens. Ce n’est pas le cas pour les Etats-Unis qui n’ont évidemment pas ratifié le Statut de Rome, pas plus que la Chine, l’Egypte, Israël, la Russie, l’Ukraine, la Turquie, et quelques autres encore.

 

Certes, il existe une possibilité d’éviter l’exécution du mandat d’arrêt d’une personne jouissant d’une immunité. En effet, selon l’art. 98 al. 1er  du Statut de la CPI, « La Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise… qui contraindrait l’Etat requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d’immunité des Etats ou d’immunité diplomatique d’une personne ». Mais, vu l’art. 97 al. 1er du même Statut, la Suisse devrait consulter la Cour sans tarder pour régler la question.

En deux mots, personne ne sait si notre Pays a peut-être déjà pris toutes les mesures pour pouvoir assurer sa pleine immunité à M. Poutine dans l’hypothèse où il viendrait en Suisse pour rencontrer M. Zelenski, et il se peut fort que M. Poutine ait quelque réserve à ce sujet. Sans oublier que son égo doit souffrir.

En deux mots, il serait intéressant de savoir où en est le DFAE ou le Conseil fédéral comme tel quand il s’agit de concilier sa volonté de mettre notre Pays à disposition pour essayer de faire avancer des pourparlers de paix et son obligation d’arrêter M. Poutine s’il venait en Suisse précisément pour parler de paix ! On relèvera que la situation  est identique en ce qui concerne M. Netanyahou à l’égard de qui la CPI a émis un mandat d’arrêt en date du 21 nov. 2024.

 

Bien des Etats Parties du Statut de Rome avaient applaudi à la double décision de la CPI concernant MM. Poutine, puis Netanyahou, qui les satisfaisait moralement. Ce faisant, ils s’excluaient de toute possibilité réelle de contribuer à des efforts de paix. M. Trump a beau jeu, après, de vouloir négocier tout seul avec la Russie, l’Ukraine ou Israël.

 

On ne peut que douter du bienfondé du communiqué du 15.11.2000 du Conseil fédéral qui disait : « L’institution d’une Cour pénale internationale permanente qui doit éradiquer ce mal qu’est l’impunité était attendue depuis des décennies. Sa création constitue une précieuse contribution à la paix et à la sécurité ».  Ce ne serait peut-être exact que si tous les Etats, sans exception, adhérait au Statut de Rome et si le Statut lui-même disposait qu’une décision de la CPI est sans effet quand elle concerne un chef d’Etat ou un haut responsable politique en fonction. Dans la dure réalité des jeux de pouvoir internationaux, les meilleurs artisans de la paix sont probablement ceux qui sont d’accord de « négocier avec le diable », comme le dit si bien le titre du livre de Pierre Hazan dont j’ai déjà parlé dans mes billets des 24 février et 9 juillet 2024. Il est nettement plus courageux et utile, dans les rapports internationaux, de risquer sa réputation en négociant avec le diable que de suivre la vox populi en traitant un adversaire de tortionnaire et en s’obligeant à  l’arrêter quand on l’invite pour négocier.